En menaces, derriere lui, Jusqu'au fleuve, il s'enfuit. Le silence se fit, total, par l'etendue, Le trou parut geant dans la terre fendue Et rien ne bougea plus; Et seules les plaines inassouvies Absorberent, alors En leur immensite, Ce mort Dont le mystere avait illimite Et exalte jusque dans l'infini, la vie. Le Menuisier Le menuisier du vieux savoir Fait des cercles et des carres, Tenacement, pour demontrer Comment l'ame doit concevoir Les lois indubitables et profondes Qui sont la regle et la clarte du monde. A son enseigne, au coin du bourg, la-bas, Les branches d'or d'un grand compas - Comme un blason, sur sa maison - Semblent deux rais pris au soleil. Le menuisier construit ses appareils Avec des mains prestes et nettes Et des regards, sous ses lunettes, Aigus et droits, sur son travail Tout en details. Ses fenetres a gros barreaux Ne voient le ciel que par petits carreaux; Et sa boutique, autant que lui, Est vieille et vit d'ennui. Il est l'homme de l'habitude Qu'en son cerveau tissa l'etude, Au long des temps de ses cent ans Monotones et vegetants. Grace a de pauvres mecaniques Et des signes talismaniques Et des cones de bois et des segments de cuivre Et le texte d'un pieux livre Tracant la croix, par au travers, Le menuisier dit l'univers. Matin et soir, il a peine, Les yeux vieillots, l'esprit cerne, Imaginant des coins et des annexes Et des ressorts malicieux A son travail terriblement complexe, Ou, sur le faite, il dressa Dieu. Il rabote ses arguments Et coupe en deux toutes repliques; Et ses raisons hyperboliques Semblent regler le firmament. Il explique, par des sentences, Le probleme des existences Et discute sur la substance. Il s'eblouit du grand mystere, Lui donne un nom complementaire Et croit avoir instruit la terre. Il est le maitre en controverses. L'esprit humain qu'il bouleverse, Il l'a coupe en facultes adverses. Il fourre l'homme qu'il etrique, A coups de preuves excentriques, En son systeme symetrique. Le menuisier a pour voisins Le cure et le medecin Qui retirent de ses travaux pourtant irreductibles, Chacun pour soi, des arguments irresistibles. Ses scrupules n'ont rien laisse D'impossible, qu'il n'ait place, D'apres un morne rigorisme, Sur les trois plans d'un syllogisme. Ses plus graves et assidus clients? Les gens branlants, les gens belants Qui achetent leur viatique, Pour quelques sous, dans sa boutique. Il vit de son enseigne, au coin du bourg, - Biseaux dores et compas lourd - Et n'ecoute que l'aigre serinette, A sa porte, de la sonnette. Il a taille, lime, sculpte Une science d'entete, Une science de paroisse, Sans lumiere, ni sans angoisse. Aussi, le jour qu'il s'en ira, Son appareil se cassera; Et ses enfants feront leur jouet, De cette eternite qu'il avait faite, A coups d'equerre et de reglette. Le Sonneur Comme un troupeau de boeufs aveugles, Avec effarement, la-bas, au fond des soirs, L'ouragan beugle. Et tout a coup, par-dessus les murs noirs Que dresse, autour de lui, l'eglise, au crepuscule, Raye d'eclairs, le clocher brule. Le vieux sonneur, la tete folle, La bouche ouverte et sans parole, Accourt. La tour, Elle apparait comme grandie. Deja s'epand, vers l'horizon hallucine, Tout l'incendie. Le bourg nocturne en est illumine. Les visages des foules apparues Peuplent de peur et de clameurs les rues, Et, sur les murs soudain eblouissants, Les carreaux noirs boivent du sang. Le vieux sonneur, vers la campagne immense, Jette, a pleins glas, sa crainte et sa demence. La tour! Elle remplit tout l'horizon qui bouge; Elle se darde en lueurs rouges Jusques au fleuve et aux marais; Ses ardoises, comme des ailes De paillettes et d'etincelles, Fuient, dans la nuit, vers les forets. Au passage des feux, les chaumieres s'exhument De l'ombre et, tout a coup, s'allument, Et, dans l'effondrement du faite entier, la croix Choit au brasier, qui tord et broie Ses bras chretiens, comme une proie. Le vieux sonneur sonne si fort qu'il peut, Comme si les flammes frolaient son Dieu. La tour! Le feu s'y creuse en entonnoir Au coeur des murailles de pierre, Gagnant la courbe du voussoir Ou saute et rebondit la cloche en sa colere. Les corneilles et les hiboux Passent, avec de longs cris fous, Cognant leur tete aux fenetres fermees, Brulant leur vol, dans les fumees, Hagards d'effroi, brises d'efforts, Et, tout a coup, parmi les houles de la foule, S'abattant morts. Le vieux sonneur voit s'avancer, vers ses cloches brandies Les mains en or qui bout de l'incendie. La tour! Elle n'est plus qu'un immense buisson Dont les branches de flamme Deborderaient des abat-sons; Le feu sauvage et convulsif entame, Avec ses dents brutales, Les madriers et les poulies Et les poutres monumentales, D'ou les clochers sonnent et clament leur folie. Le vieux sonneur, sentant venir son agonie, Sonne sa propre mort, dans ses cloches finies. La tour! Un decisif fracas, Gris de poussiere et de platras, La casse en deux, de haut en bas. Comme un grand cri tue, cesse la rage, Soudainement, du glas. Le vieux clocher Tout a coup noir semble pencher; Et l'on entend, etage par etage, Avec des heurts dans leur descente, Les cloches bondissantes, Jusqu'a terre, plonger. Le vieux sonneur n'a pas bouge. Et la cloche qui defonca le terrain' mou Fut son cercueil et fit son trou. Le Forgeron Sous son hangar, au fond des cours, Le forgeron enorme et gourd, Depuis les temps deja lointains que fument Les emeutes du fer et des aciers sur son enclume, Martele, etrangement, pres des flammes intenses, A grands coups pleins, les pales lames Immenses de la patience. Tous ceux du bourg qui habitent son coin, Avec la haine en leurs deux poings, Muette, Savent pourquoi le forgeron A son labeur de tacheron, Sans que jamais Ses dents machent des cris mauvais, S'entete. Mais ceux d'ailleurs dont les paroles vaines Sont des abois, devant les buissons creux, Au fond des plaines, Les agites et les fievreux Scrutent, avec pitie ou mefiance, Ses lents regards remplis du seul silence. Le forgeron travaille et peine, Au long des jours et des semaines. Dans son brasier, il a jete Les cris d'opiniatrete, La rage sourde et seculaire; Dans son brasier d'or exalte, Maitre de soi, il a jete Revoltes, deuils, violences, coleres, Pour leur donner la trempe et la clarte Du fer et de l'eclair. Son front, Exempt de crainte et pur d'affronts, Sur les flammes se penche, et tout a coup rayonne. Devant ses yeux, le feu brule en couronne. Ses mains grandes, obstinement Manient, ainsi que de futurs tourments, Les marteaux clairs, libres et transformants Et ses muscles se fortifient, pour la conquete Dont le reve dort en sa tete. Il sait, il a compte les maux immesurables: Les coupables conseils donnes aux miserables; Les arguments qu'on oppose les uns aux autres; La langue en fiel durci des faux apotres; La justice par des textes barricadee; L'effroi plantant sa corne au front de chaque idee; Les bras geants d'ardeur, egalement serviles, Dans la sante des champs ou la fievre des villes; Le village, coupe par l'ombre immense et noire Qui tombe en faulx du vieux clocher comminatoire; Les pauvres gens, sur qui pesent les pauvres chaumes, Jusqu'a ployer leurs deux genoux devant l'aumone; La misere qui sort des bois, qui sort des bouges, Serrant entre ses mains l'arme qui sera rouge; Le droit de vivre et de grandir, suivant sa force, Serre, dans les treillis noueux des lois retorses; La lumiere de joie et de tendresse male, Eteinte entre les doigts pinces de la morale; L'empoisonnement vert de la pure fontaine De diamant, ou boit la conscience humaine Et puis, malgre tant de serments et de promesses A ceux que l'on redoute et pourtant qu'on oppresse, Le recommencement toujours de leur meme detresse. Le forgeron, sachant combien On epilogue autour des pactes, Depuis longtemps ne dit plus rien: L'accord etant fatal au jour des actes; Il est l'incassable entete Qui vainc ou qu'on assomme; Qui n'a jamais lache sa fierte d'homme D'entre ses dents de volonte; Qui veut tout ce qu'il veut si fortement, Que son vouloir broierait du diamant Et s'en irait, au fond des nuits profondes, Ployer les lois qui font tourner les mondes. Autour de lui, quand il ecoute Tomber les pleurs, goutte apres goutte, De tant de coeurs, moins que le sien Tranquilles et stoiciens, Il se predit que cette rage immense, Ces millions d'ardeurs n'ayant qu'un seul amour Ne peuvent point faire en sorte, qu'un jour, Pour une autre equite, les temps ne recommencent Ni que le levier d'or qui fait mouvoir les choses- Ne les tourne vers les claires metamorphoses. Seule, parmi les nuits qui s'entenebreront L'heure est a prendre, ou ces instants naitront. Pour l'entendre sonner la-bas, Severe et dure comme un glas, Que les clameurs et les gestes se taisent, Autour des drapeaux fous claquant au vent des theses Et qu'on dispute moins, et qu'on ecoute mieux. L'instant sera saisi par les silencieux, Sans qu'un prodige en croix flamboie aux cieux Ni qu'un homme divin accapare l'espace. La foule et sa fureur qui toujours la depasse - Etant la force immensement hallucinee Que darde au loin la volonte des destinees - Fera surgir, avec ses bras impitoyables, L'univers neuf de l'utopie insatiable; Les minutes s'envoleront d'ombre et de sang Et l'ordre eclora doux, genereux et puissant, Puisqu'il sera, un jour, la pure essence de la vie. Le forgeron dont l'espoir ne devie Vers les doutes ni les affres, jamais, Voit, devant lui, deja, comme s'ils etaient, Ces temps ou fermement les plus simples ethiques Diront l'humanite paisible et harmonique: L'homme ne sera plus, pour l'homme, un loup rodant Qui n'affirme son droit, qu'a coups de dents; L'amour dont la puissance encore est inconnue, Dans sa profondeur douce et sa charite nue, Ira porter la joie egale aux resignes; Les sacs gonfles de lucre et d'or seront saignes; Un soir d'ardente et large equite rouge Disparaitront palais, banques, comptoirs et bouges; Tout sera simple et clair, quand l'orgueil sera mort, Quand l'homme, au lieu de croire a l'egoiste effort Qui s'eterniserait en une ame immortelle, Dispensera vers tous sa vie accidentelle; Des paroles, qu'aucun livre ne fait prevoir, Debrouilleront ce qui parait complexe et noir; Le faible aura sa part dans l'existence entiere, Il aimera son sort - et l'obscure matiere Confessera, peut-etre alors, ce qui est Dieu. Avec l'eclat de cette lucide croyance Dont il fixe la flamboyance, Depuis des ans, devant ses yeux, Sous son hangar, au fond des cours, Le forgeron enorme et gourd, Comme s'il travaillait l'acier des ames, Martele, a grands coups pleins, les lames Immenses de la patience et du silence. Les Meules qui brulent La plaine, au fond des soirs, s'est allumee, Et les tocsins cassent leurs bonds de sons, Aux quatre murs de l'horizon. - Une meule qui brule! Par les sillages des chemins, la foule, Par les sillages des villages, la foule houle Et dans les cours, les chiens de garde ululent. - Une meule qui brule! La flamme ronfle et casse et broie, S'arrache des haillons qu'elle 'deploie; La flamme rouge et debordante S'epand en chevelure ardente Puis s'apaise soudain et se detache Et ruse et se derobe - ou rebondit encor; Et voici, tout a coup, de grands jets d'or Dans le ciel noir qu'ils empanachent. - Quand brusquement une autre meule au loin s'allume! - Elle est immense - et comme un faisceau rouge De longs et lumineux serpents. Les feux? - ils se tordent sur les arpents Et les fermes et les hameaux, ou bouge, De vitre a vitre, un caillot rouge. - Une meule qui brule! Les champs? - ils s'illimitent en frayeurs; Des frondaisons de bois se levent en lueurs, Sur les marais et les labours; Des etalons cabres vers la terreur hennissent; D'enormes vols d'oiseaux s'appesantissent Et choient, dans les brasiers - et des cris sourds Sortent du sol; et c'est la mort, Toute la mort brandie Et ressurgie, aux poings tendus de l'incendie. Et le silence apres la peur - quand, tout a coup, la-bas Formidable, dans le soir las, Un feu nouveau remplit les fonds du crepuscule? - Une meule qui brule! Aux carrefours, des gens hagards Frappent leur front avec leurs poings; Les enfants crient et les vieillards Prennent le Christ et les saints a temoin Du sort qui les atteint et les poignarde, Tandis qu'au loin, obstinement silencieux, Des fous, avec de la stupeur aux yeux, Regardent. - Une meule qui brule! La terre est rouge, immensement. On ne voit plus l'etoile au firmament. Le feu multiplie de plaine en plaine Reprend a chaque instant vie et haleine, Il se projette encor plus loin, la-bas, Sur l'autre bord, ou brusquement les au-dela Du fleuve s'eclairent comme un songe. Tout est terreur, folie, acharnement, mensonge, Brasier et sang - et la tourmente Propage avec un tel elan La mort passagere du firmament Que jusqu'au bout de l'epouvante Le ciel entier semble parti. Les Douze Mois Fevrier Les Pauvres Il est ainsi de pauvres coeurs avec, en eux, des lacs de pleurs, qui sont pales, comme les pierres d'un cimetiere. Il est ainsi de pauvres dos plus lourds de peine et de fardeaux que les toits des cassines brunes, parmi les dunes. Il est ainsi de pauvres mains, comme feuilles sur les chemins, comme feuilles jaunes et mortes, devant la porte. Il est ainsi de pauvres yeux humbles et bons et soucieux et plus tristes que ceux des betes, sous la tempete. Il est ainsi de pauvres gens, aux gestes las et indulgents sur qui s'acharne la misere, au long des plaines de la terre. Decembre Les Hotes - Ouvrez, les gens, ouvrez la porte, je frappe au seuil et a l'auvent, ouvrez, les gens, je suis le vent qui s'habille de feuilles mortes. - Entrez, monsieur, entrez, le vent, voici pour vous la cheminee et sa niche badigeonnee; entrez chez nous, monsieur le vent. - Ouvrez, les gens, je suis la pluie, je suis la veuve en robe grise dont la trame s'indefinise, dans un brouillard couleur de suie. - Entrez, la veuve, entrez chez nous, entrez, la froide et la livide, les lezardes du mur humide s'ouvrent pour vous loger chez nous. - Levez, les gens, la barre en fer, ouvrez, les gens, je suis la neige; mon manteau blanc se desagrege sur les routes du vieil hiver. - Entrez, la neige, entrez, la dame, avec vos petales de lys et semez-les par le taudis jusque dans l'atre ou vit la flamme. Car nous sommes les gens inquietants qui habitons le Nord des regions desertes, qui vous aimons - dites, depuis quels temps?- pour les peines que nous avons par vous souffertes. Les Vignes de ma muraille Au Nord Deux vieux marins des mers du Nord S'en revenaient, un soir d'automne, De la Sicile et de ses iles souveraines, Avec un peuple de Sirenes, A bord. Joyeux d'orgueil, ils regagnaient leur fiord, Parmi les brumes mensongeres, Joyeux d'orgueil ils regagnaient le Nord Sous un vent morne et monotone, Un soir de tristesse et d'automne. De la rive, les gens du port Les regardaient, sans faire un signe: Aux cordages, le long des mats, Les Sirenes, couvertes d'or, Tordaient, comme des vignes, Les lignes Sinueuses de leurs corps. Et les gens se taisaient, ne sachant pas Ce qui venait de l'ocean, la-bas, A travers brumes; Le navire voguait comme un panier d'argent Rempli de chair, de fruits et d'or bougeant Qui s'avancait, porte sur des ailes d'ecume. Les Sirenes chantaient Dans les cordages du navire: Les bras tendus en lyres, Les seins leves comme des feux; Les Sirenes chantaient Devant le soir houleux, Qui fauchait sur la mer les lumieres diurnes; Les Sirenes chantaient, Le corps serre autour des mats, Mais les hommes du port, frustes et taciturnes, Ne les entendaient pas. Ils ne reconnurent ni leurs amis - Les deux marins - ni le navire de leurs pays, Ni les focs, ni les voiles Dont ils avaient cousu la toile; Ils ne comprirent rien a ce grand songe Qui enchantait la mer de ses voyages, Puisqu'il n'etait pas le meme mensonge Qu'on enseignait dans leur village; Et le navire aupres du bord Passa, les allechant vers sa merveille, Sans que personne, entre les treilles, Ne recueillit les fruits de chair et d'or. Les Visages de la vie Au bord du quai En un pays de canaux et de landes, Mains tranquilles et gestes lents, Habits de laine et sabots blancs; Parmi des gens mi-somnolents, Dites, vivre la-bas, en de claires Zelandes! Vers de grands phares foudroyes, Depuis des ans, j'ai navigue. Dites, vivre la-bas, Au bord d'un quai pique de mats Et de poteaux mires dans l'eau. Promeneur vieux de tant de pas, Promeneur las. Dites, vivre la-bas, parmi des maisons coites, Carreaux etroits, portes etroites, Pignons luisants de goudron noir, Ou le beffroi, de l'aube au soir, Tricote Un air toujours le meme, avec de pauvres notes. J'ai visite de lointains fleuves, Sombres et lents, comme des veuves. Serait-il calme et frais, mon coin, Qu'une vieille servante, avec grand soin, Tiendrait propre, comme un dimanche: Contre le mur d'une chambre blanche, Une carte pendrait des iles Baleares; Ses bords seraient ornes de rinceaux rares Et de drapeaux episcopaux; Et sur une etagere on verrait la merveille - Petits batons, minces ficelles - D'une fragile caravelle Qui voguerait, voiles au clair, Dans la panse d'une bouteille. J'ai parcouru, sous des minuits de verre, Des courants noirs qui font le tour de la terre. Au cabaret, pres du canal, Le soir, a l'heure reglementaire, je m'asseoirais, quand le fanal, Au front du pont, Darde son oeil, comme une pierre verte. J'entreverrais par la fenetre ouverte, Dormir les chalands bruns, les barques brunes, Dans leur grand bain de clair de lune, Et le quai bleu et ses arbres lourds de feuillee, Au fond de l'eau, fuir en vallee. Oh! cette heure d'immobilite d'or, Ou rien ne bouge au fond du port, Sauf une voile mal carguee Qui doucement remue encor, Au moindre vent qui vient de mer. La mer! La mer! La mer tragique et incertaine, Ou j'ai traine toutes mes peines! Depuis des ans, elle m'est celle. Par qui je vis et je respire, Si fierement, qu'elle ensorcelle Toute mon ame, avec son rire Et sa colere et ses sanglots de flots; Dites, pourrais-je un jour, En ce port calme, au fond d'un bourg, Quoique dispos et clair, Me passer d'elle? La mer! La mer! Elle est le reve et le frisson Dont j'ai senti vivre mon front. Elle est l'orgueil qui fit ma tete Ferme et haute, dans la tempete. Ma peau, mes mains et mes cheveux Sentent la mer Et sa couleur est dans mes yeux; Et c'est le flux et le jusant Qui sont le rythme de mon sang! Au cassement de soufre et d'or D'un ciel d'ebene et de portor, J'ai regarde s'ouvrir la nuit Si loin vers l'immense inconnu. Que mon regard n'est point encor Jusqu'aujourd'hui, Du bout du monde, revenu. Chaque coup d'heure au coeur du temps, Chaque automne et chaque printemps, Me rappellent des paysages Plus beaux que ceux que mes yeux voient; Golfes, pays et cieux, en mon ame, tournoient Et mon ame elle-meme, avec l'humanite, Autour de Dieu, depuis l'eternite, A travers temps, semble en voyage: J'ai dans mon coeur l'orgueil et la misere, Qui sont les poles de la terre. Et qu'importe d'ou sont venus ceux qui s'en vont, S'ils entendent toujours un cri profond Au carrefour des doutes! Mon corps est lourd, mon corps est las, Je veux rester, je ne peux pas; L'apre univers est un tissu de routes Trame de vent et de lumiere; Mieux vaut partir, sans aboutir, Que de s'asseoir, meme vainqueur, le soir, Devant son?uvre coutumiere, Avec, en son coeur morne, une vie Qui cesse de bondir au-dela de la vie! Dites, la mer au loin que prolonge la mer; Et le supreme et merveilleux voyage, Vers on ne sait quel charme ou quel mirage, Se deplacant, au cours des temps; Dites, les blancs signaux vers les vaisseaux partant Et le soleil qui brule et qui deja dechire L'horizon d'or, devant l'essor de mon navire! La Foule En ces villes d'ombre et d'ebene, D'ou s'elevent des feux prodigieux; En ces villes, ou se demenent, Avec leurs chants, leurs cris et leurs blasphemes, A grande houle, les foules; En ces villes soudain terrifiees De revolte sanglante et de nocturne effroi, Je sens bondir et s'exalter en moi Et s'epandre, soudain, mon coeur multiplie. La fievre, avec de fremissantes mains, La fievre au cours de la folie et de la haine M'entraine Et me roule, comme un caillou, par les chemins. Tout calcul tombe et se supprime, Le coeur s'elance ou vers la gloire ou vers le crime; Et tout a coup je m'apparais celui Qui s'est, hors de soi-meme, enfui Vers le sauvage appel des forces unanimes. Soit rage, ou bien amour, ou bien demence, Tout passe, en vol de foudre, au fond des consciences; Tout se devine, avant qu'on ait senti Le clou d'un but certain entrer dans son esprit. Des gens hagards courent avec des torches, Une rumeur de mer s'engouffre, au fond des porches, Murs, enseignes, maisons, palais et gares, Dans le soir fou, devant mes yeux, s'effarent; Sur les places, les poteaux d'or de la lumiere Tendent, vers les cieux noirs, des feux qui s'exasperent; Un cadran luit, couleur de sang, au front des tours; Qu'un tribun parle au coin d'un carrefour, Avant que l'on saisisse un sens dans ses paroles, Deja l'on suit son geste - et c'est avec fureur, Qu'on outrage le front laure d'un empereur Et qu'on brise l'autel d'ou s'impose l'idole. La nuit est fourmillante et terrible de bruit; Une electrique ardeur brule dans l'atmosphere; Les coeurs sont a prendre; l'ame se serre En une angoisse enorme et se delivre en cris; On sent qu'un meme instant est maitre D'epanouir ou d'ecraser ce qui va naitre; Le peuple est a celui que le destin Dota d'assez puissantes mains Pour manoeuvrer la foudre et les tonnerres Et devoiler, parmi tant de lueurs contraires, L'astre nouveau que chaque ere nouvelle Choisit pour aimanter la vie universelle. Oh dis, sens-tu qu'elle est belle et profonde, Mon coeur, Cette heure Oui sonne et chante au coeur du monde? Que t'importent et les vieilles sagesses Et les soleils couchants des dogmes sur la mer: Voici l'heure qui bout de sang et de jeunesse, Voici la violente et merveilleuse ivresse D'un vin si fort que rien n'y semble amer. Un vaste espoir, venu de l'inconnu, deplace L'equilibre ancien dont les ames sont lasses; La nature parait sculpter Un visage nouveau a son eternite; Tout bouge - et l'on dirait les horizons en marche. Les ponts, les tours, les arches Tremblent, au fond du sol profond. La multitude et ses brusques poussees Semblent faire eclater les villes oppressees, Le temps est la des debacles et des miracles Et des gestes d'eclair et d'or, La-bas, au loin, sur les Thabors. Comme une vague en des fleuves perdue, Comme une aile effacee au fond de l'etendue, Engouffre-toi, Mon coeur, en ces foules battant les capitales De leurs fureurs et de leurs rages triomphales; Vois s'irriter et s'exalter Chaque clameur, chaque folie et chaque effroi; Fais un faisceau de ces milliers de fibres; Muscles tendus et nerfs qui vibrent; Aimante et reunis tous ces courants Et prends Si large part a ces brusques metamorphoses D'hommes et de choses, Que tu sentes l'obscure et formidable loi Qui les domine et les opprime Soudainement, a coups d'eclairs, s'inscrire en toi. Mets en accord ta vie avec les destinees Que la foule, sans le savoir, Promulgue, en cette nuit d'angoisse illuminee. Ce que sera, demain, le droit ou le devoir. Seule, elle en a l'instinct profond; Et l'univers total travaille et collabore, Avec ses milliers de causes qu'on ignore, A chaque effort vers le futur, qu'elle elabore, Rouge et tragique, a l'horizon. Oh l'avenir, comme on l'ecoute Crever le sol, casser les voutes, Et ces villes d'ebene et d'or, ou l'incendie Rode comme un lion dont les crins s'irradient; Minute unique, ou les siecles tressaillent; Noeud que les victoires denouent dans les batailles; Grande heure, ou les aspects du monde changent, Ou ce qui fut juste et sacre parait etrange, Ou l'on monte vers les sommets d'une autre foi, Ou la foule maitresse enfin de sa colere, Comptant et recomptant ses longs maux seculaires, Sur le bloc de sa force erige un nouveau droit. En ces villes soudain terrifiees De fete rouge et de nocturne effroi, Pour te grandir et te magnifier, Mon ame, enferme-toi. L'Action Lasse des mots, lasse des livres, Qui tiedissent la volonte, Je cherche, au fond de ma fierte, L'acte qui sauve et qui delivre. La vie, elle est la-bas, violente et feconde, Oui mord, a galops fous, les grands chemins du monde. Dans le tumulte et la poussiere, Les forts se sont pendus a sa criniere Et, souleves par elle et par ses bonds, De prodige en prodige, Ils ont gravi, a travers pluie et vent, les monts Des audaces et des vertiges. L'action! J'en sais qui la dressent dans l'air Tragiquement, sur ciel d'orage, Avec des bras en sang et des clameurs de rage. D'autres qui la revent sourde et profonde, Comme une mer Dont l'abime repousse et rejette les sondes. J'en sais qui l'esperent vetue Du silence charmeur des fleurs et des statues. J'en sais qui l'evoquent, partout, Ou la douleur se crispe, ou la demence bout. J'en sais qui la cherchent encore, Durant la nuit, jusqu'a l'aurore. Alors deja qu'elle est debout, au seuil Doux et serein de leur orgueil. La vie en cris ou en silence, La vie en lutte ou en accord, Avec la vie, avec la mort, La vie apre, la vie intense, Elle est la-bas, sous des poles de cristal blanc, Ou l'homme innove un chemin lent; Elle est, ici, dans la ferveur ou dans la haine De l'ascendante et rouge ardeur humaine; Elle est, parmi les flots des mers et leur terreur, Sur des plages, dont nul n'a explore l'horreur; Elle est dans les forets, aux floraisons lyriques, Qui decorent les monts et les iles d'Afrique; Elle est, ou chaque effort grandit Geste a geste, vers l'infini. Ou le genie extermine les gloses, Criant les faits, montrant les causes Et preparant l'elan des geantes metamorphoses. Lasse des mots, lasse des livres, Je cherche en ma fierte L'acte qui sauve et qui delivre. Et je le veux puissant et entete, Lucide et pur, comme un beau bloc de glace; Sans crainte et sans fallace, Digne de ceux Qui n'arborent l'orgueil silencieux Loin du monde, que pour eux-memes. Et je le veux trempe, dans un bapteme De nette et large humanite, Montrant a tous sa totale sincerite Et reculant, en un elan supreme, Les frontieres de la bonte. ï vivre et vivre et vivre et se sentir meilleur A mesure que bout plus fervemment le coeur; Vivre plus clair, des qu'on marche en conquete; Vivre plus haut encor, des que le sort s'entete A dessecher la seve et la force des bras; Rever, les yeux hardis, a tout ce qu'on fera De pur, de grand, de juste, en ces Chanaans d'or, Qui surgiront, quand meme, au bout du saint effort; ï vivre et vivre, eperdument, En ces heures de solennel isolement, Ou le desir attise, ou la pensee anime, Avec leurs espoirs fous, l'existence sublime. Lasse des mots, lasse des livres, Je veux le glaive enfin qui taille Ma victoire, dans la bataille. Et je songe, comme on prie, a tous ceux Qui se levent, heros ou Dieux, A l'horizon de la famille humaine; Comme des arcs-en-ciel prodigieux, Ils se posent, sur les domaines De la misere et de la haine; Les effluves de leur exemple Penetrent peu a peu jusques au fond des temples, Si bien que la foule, soudain, Voulant aimer, voulant connaitre Le sens nouveau qu'impose, avec ardeur, leur etre Aux enigmes du destin, Deja forme son ame a leur image, Pendant que disputent et s'embrouillent encor. A coups de textes morts, Les pretres et les sages. Alors, on voit les paroles armees Planer sur les luttes et les exploits Et clairs, monter les fronts et, vibrantes, les voix Et - foudre et or - voler au loin les Renommees; Alors aussi, ceux qui rechauffaient leurs ames, Au vieux foyer des souvenirs, L'abandonnent et saisissent l'epee en flamme Et s'elancent vers l'avenir! Vers la mer Comme des objets freles, Les vaisseaux blancs semblent poses, Sur la mer eternelle. Le vent futile et pur n'est que baisers; Et les ecumes Qui, doucement, echouent Contre les proues, Ne sont que plumes: Il fait dimanche sur la mer! Telles des dames Passent, au ciel ou vers les plages, Voilures et nuages: Il fait dimanche sur la mer; Et l'on voit luire, au loin, des rames, Barres de prismes sur la mer. Fier de moi-meme et de cette heure, Qui scintillait, en grappes de joyaux Translucides sur l'eau, J'ai crie, vers l'espace et sa splendeur: "ï mer de luxe frais et de moires fleuries, Ou le mouvant et vaste ete Marie Sa force a la douceur et la limpidite; Mer de clarte et de conquete Ou voyagent, de crete en crete, Sur les vagues qu'elles irisent, Les brises; Mer de beaute sonore et de vives merveilles Dont la rumeur bruit a mes oreilles Depuis qu'enfant j'imaginais les greves bleues Ou l'Ourse et le Centaure et le Lion des cieux Venaient boire, le soir, La-bas, tres loin, a l'autre bout du monde; ï mer, qui fus ma joie etonnee et feconde, ï mer, qui fus ma jeunesse cabree, Ainsi que tes marees Vers les dunes aux mille cretes, Accueille-moi, ce jour, ou tes eaux sont en fete! J'aurai vecu, l'ame elargie, Sous les visages clairs, profonds, certains, Qui regardent, du haut des horizons lointains, Surgir, vers leur splendeur, mon energie. J'aurai senti les flux Unanimes des choses Me charrier en leurs metamorphoses Et m'emporter, dans leur reflux. J'aurai vecu le mont, le bois, la terre; J'aurai verse le sang des dieux dans mes arteres; J'aurai brandi, comme un glaive exalte, Vers mon devoir, ma volonte; Et maintenant c'est sur tes bords, o mer supreme, Ou tout se renouvelle, ou tout se reproduit, Apres s'etre disjoint, apres s'etre detruit, Que je reviens pour qu'on y seme Cet univers qui fut moi-meme. L'ombre se fait en moi; l'age s'etend Comme une orniere, autour du champ, Oui fut ma force en fleur et ma vaillance. plus n'est ferme toujours ni hautaine ma lance; L'arbre de mon orgueil reverdit moins souvent Et son feuillage boit moins largement le vent Qui passe en ouragan, sur les forets humaines; ï mer, je sens tarir les sources, dans mes plaines, Mais, j'ai recours a toi pour l'exalter, Une fois encor, Et le grandir et le transfigurer, Mon corps, En attendant qu'on t'apporte sa mort, Pour a jamais la dissoudre en ta vie. Alors, ï mer, tu me perdras en tes furies De renaissance et de fecondite; Tu rouleras en tes ombres et tes lumieres, Ma pourriture et ma poussiere; Tu voileras sous ta beaute Toute ma cendre et tout mon deuil; J'aurai l'immensite des forces pour cercueil Et leur travail obscur et leur ardeur occulte; Mon etre entier sera perdu, sera fondu, Dans le brassin geant de leurs tumultes, Mais renaitra, apres mille et mille ans, Vierge et divin, sauvage et clair et frissonnant, Amas subtil de matiere qui pense; Moment nouveau de conscience; Flamme nouvelle de clarte, Dans les yeux d'or de l'immobile eternite!" Comme de lumineux tombeaux, Les vaisseaux blancs semblent poses, De loin en loin, sur les plaines des eaux. Le vent subtil n'est que baisers; Et les ecumes Qui doucement, echouent Contre les proues, Ne sont que plumes: Il fait dimanche sur la mer! Petites Legendes La Statuette C'etait un jeu de quilles Dont la quille du milieu, Peinte en rouge, peinte en bleu, Etait une statuette faite Au temps des Dieux. Venus, Diane ou bien Cybele, Aucun des vieux ne se rappelle En quels temples ou en quels bouges, L'avaient prise des marins rouges Pour la revendre Voici cent ans, aux gens des Flandres. Un marguillier disait: "C'est elle Qui sous l'ancien cure, Ornait le baldaquin de la chapelle. Elle etalait un manteau d'or moire Comme la Vierge: Ma mere a fait flamber maint cierge Devant elle." Un autre avait entendu dire, Par son pere, qui le tenait D'un marechal du Saint-Empire, Que l'image venait De Rome ou peut-etre d'Espagne. On l'avait mise au carrefour, sous le tilleul Qui recouvrait, enorme et seul, Quatre chemins dans la campagne. Elle etait bonne et veneree, Jadis, dans toute la contree. Des malades furent gueris Grace a son aide et son esprit Et des paralytiques Marcherent. Sans un vicaire despotique Qui combattait, sur mer et terre, Tous les paiens prestiges, Son nom eclaterait encor, pieux et saint, En des recueils diocesains Ou l'on consigne les prodiges. On la jeta, La nuit, en plein courant, dans la riviere, Mais un courant contraire Obstinement la rapporta, Aux pieds de la digue tranquille Ou ceux de Flandre et de Brabant luttaient aux quilles. Elle etait faite en bois plus dur Que les moellons du mur; Et neanmoins elle etait fine comme un vase Et des roses ornaient sa base. Quelques joueurs la sauverent, a maree haute. On la planta, avec solennite, Dans le milieu du jeu, un jour de Pentecote, Que les cloches s'interpellaient, de berge en berge, Que les premiers soleils d'ete Brillaient et que les filles de l'auberge, Sur des plateaux de cuivre et de lumiere, En bonnets frais et blancs, gaiment, servaient les bieres. Et tous applaudirent celui Qui le premier, devant la foule, D'un seul et large coup de boule, L'abattit. Et tous applaudirent aussi, Ceux qui vinrent, apres lui, Et la coucherent, Cinq fois, par terre. Mais brusquement, celui qui le premier L'avait atteinte, Palit: Son clos des _champs qui tintent_ Brulait la-bas; et les fumiers Reverberaient les crins rouges de l'incendie, Dans leurs mares effrayamment grandies. Et puis, Huit jours plus tard, l'un des plus francs buveurs Et des plus fiers vainqueurs au jeu de quilles, Rentrant, chez lui, la nuit, Trouva sa fille morte Devant la porte. Il ne pensa d'abord a rien; Mais il s'abstint De s'en aller, chaque Dimanche, A l'auberge de la _Croix-Blanche_. Enfin, Un jour que le jeune echevin Rafla, d'un coup geant; le jeu entier, L'aile gauche de son grenier Degringola dans le verger Et tua net le chien et le berger. Depuis ce temps, la peur filtra dans les esprits Et la terreur souffla et la terreur grandit Quand on apprit Que l'hotesse de la Croix-Blanche, allant Querir, le soir, sous l'appentis, Du bois et des pailles pour la Saint-Jean, Vit, dans l'ombre, flamboyer devant elle, Les yeux en feu De la statuette immortelle. Le village trembla. Et le cure Eut beau exorciser Chaque quille, suivant les rites, La paroisse ne le tint quitte, Qu'au jour ou l'etrange morceau de bois Eut son royal manteau de belle etoffe Et fut loge, comme autrefois, Dans sa niche, pres de l'autel de Saint-Christophe. On deplaca le trop austere Et turbulent vicaire; Les pratiques des anciens jours Revecurent et reprirent leur cours; Et Cybele, Venus ou bien Diane Mela, comme jadis, sa puissance profane Aux prodiges que Saint-Corneille Faisait surgir de son orteil Use, depuis quels temps lointains, Par les levres et par les mains De l'innombrable espoir humain. Les Forces tumultueuses L'Art D'un bond, Son pied cassant le sol profond, Sa double aile dans la lumiere, Le cou tendu, le feu sous les paupieres, Partit, vers le soleil et vers l'extase, Ce devoreur d'espace et de splendeur, Pegase! Molles, des danses Alanguissaient leur grace et leur cadence Au vert sommet des collines, la-bas. C'etaient les Muses d'or: leurs pas S'entrecroisaient comme des fleurs melees. L'amour, aupres d'elles, dormait sous un laurier, Et les ombres du feuillage guerrier Tombaient sur l'arc et sur les fleches barbelees. L'Olympe et l'Helicon brillaient dans l'air; Sur les sommets, d'ou les sources s'epanchent, Des temples purs, ainsi que des couronnes blanches, Illuminaient les bourgades des vallons clairs. La Grece, avec ses Parthenons de marbre Et ses gestes de Dieux qui agitaient les arbres A Dodone, la Grece entiere, avec ses monts Et ses villes dont la lyre chantait les noms, Apparaissait, sous le galop du fol cheval, Comme une arene familiere A son essor quotidien dans la lumiere. Mais tout a coup, plus loin que le pays natal, Un jour, il vit, du fond des passes mornes, Surgir, serrant un disque entre ses cornes, L'inepuisable et lourde et maternelle Isis. Et ce fut l'art de Thebes ou de Memphis Taillant Hator, la blanche, en de roses pylones, Et ce fut Suse et Babylone Et leurs jardins pendus a quels clous d'astres d'or? Et puis Ninive et Tyr, et les decors De l'Inde antique et les palais et les pagodes, Sous la moiteur des saisons chaudes, Tordant leur faite, ainsi que des brasiers sculptes. Et meme au loin, ce fut cet Orient monte En kiosques d'email, en terrasses d'ivoire, Ou des sages et les sennins notoires Miraient dans l'eau belle, mais transitoire, Leurs visages de jouets; Et doucement, riaient a leur reflet, Des gestes vains que dans la vie, ils avaient faits. Et de cet inconnu vaste, montaient des Odes, Suivant des jeux, suivant des modes, Que Pegase scandait de son pas affermi; On eut dit qu'en ses hymnes anciens Son chant quotidien Avait longtemps dormi, Avant de s'eveiller aux musiques sublimes Qu'il propageait, de cime en cime, A travers l'infini. Sur ce monde d'email, de bronze et de granit, S'aureolaient aussi les poetes lucides; Ils devastaient la mort nocturne ainsi qu'Alcide; Leurs poemes ardents, qui affirmaient les lois, Traversaient quelquefois la volonte des rois? Leur front buttait contre la force inassouvie; Leur ame intense et douce avait prevu la vie Et repandait deja comme un beau reve clair, Sur le sommeil d'enfant que donnait l'univers. Le cheval fou qu'aucun bond d'audace Ne lasse, D'un plus geant coup d'aile encor, grandit son vol Et s'exalta, plus haut encor, parmi l'espace. Alors, une autre mer, un autre sol, A sa gauche, s'illimiterent, Et ce fut l'occident, et ce fut l'avenir Dont la grandeur allait se definir Qui s'eclairerent. La-bas, en des plaines de brume et de rosee, En des regions d'eaux, de montagnes, de bois, Apparaissaient des temples blancs, d'ou l'or des croix Dardait une clarte nouvelle et baptisee. Chaque ville se dessinait comme un bercail, Ou le troupeau des toits massait ses toisons rouges; De merveilleux palais y dominaient les bouges; Une abside s'y deployait comme un camail; Des jardins d'or y sommeillaient sous de grands arbres, Des rivieres y sillonnaient des quais de marbre; Des pas massifs et reguliers de soldats roux Couraient au loin, sous un envol de drapeaux fous; Sur des tertres, montaient de hauts laboratoires; Des usines brulaient les vents, avec leurs feux, Et tout cela priait, frappait, mordait les cieux, Avec un elan tel, que souriait la gloire. Et c'etait Rome, et puis Florence et puis Paris, Et puis Londres et puis, au loin, les Ameriques; C'etait le travail fou et ses fievres lyriques Et sa lueur enorme a travers les esprits. Le globe etait conquis. On savait l'etendue. Des feux pareils aux feux des etoiles, la-haut, Faisaient des gestes d'or: on eut dit des flambeaux Fixes pour ramener la pensee eperdue; Comme autrefois, les poetes fervents et clairs Passaient pareils aux dieux, dans l'etendue ardente, Ils grandissaient leur siecle - Hugo, Shakespeare, Dante - Et dediaient leur vie au coeur de l'univers. Et Pegase sentit ces visions nouvelles Si vivement eblouir ses prunelles Qu'il fut comme inonde d'orgueil et de lumiere, Et que, les dents sans frein, le col sans renes, Il delaissa soudain sa route coutumiere. Et desormais, le monde entier fut son arene. Le Tribun Et tel que ces arbres cernes de rude ecorce, Qu'on maintenait, jadis, au coeur des vieux quartiers, Debout - il apparait tetu, puissant, altier, Serrant en lui, dites, quels n?uds de force! Enfant, il a grandi sur le trottoir des villes En un faubourg lepreux, livide et convulse, Ou des hommes rageaient de se sentir serviles Et prisonniers, depuis mille ans, des vieux passes. ï son bondissement, soudain, dans les melees, Lorsque le peuple, un jour vers les facades d'or, Marcha, les poings enfin dresses contre le sort, Et que les coups pleuvaient et que les pierres Aux coleres melees, Cassant les hauts carreaux pleins de lumieres Semblaient broyer et disperser, sur le pave, De l'or! Et son verbe brusque et leve, Comme un faisceau hargneux de pointes Ferocement disjointes; Et sa colere et sa folie et son amour Roulant ensemble et s'exaltant, autour De chacune de ses idees; Et sa raison violente et dardee Faite de passion et de bouillonnement Et son geste d'orage et de grand vent Qui projetait son reve, ainsi qu'une semence, Ardente et rouge, en des milliers de fronts vivants! Depuis il fut le roi des superbes demences, Il est monte et monte encor, sait-il jusqu'ou! Son pouvoir neuf, son pouvoir fou, Il ne sait plus ou il commence. Il monte - et l'on croirait que le monde l'attend, Si large est la clameur des coeurs battant A l'unisson de ses paroles souveraines. Il est effroi, danger, affre, fureur et haine; Il est ordre, silence, amour et volonte; Il scelle en lui toutes les violences lyriques, Ou se trempe l'orgueil des hommes historiques Dont l'oeuvre est faite, avec du sang d'eternite. Et le voici debout au carrefour du monde, Ou les vieux chemins d'hier croisent les grands chemins, Par ou s'avanceront ceux qui viendront demain Vers on ne sait quelle aube eclatante et profonde. Homme d'autant plus grand qu'il est de vierge instinct, Qu'il ignore le rouge eclair dont le destin, Sans le tuer d'abord, mit en ses mains la foudre; Qu'il est l'enigme en feu que nul ne peut resoudre Et qu'il reste plante, du coeur jusques aux pieds, En plein peuple, pour s'en nourrir - ou en mourir, Un jour, tenace et tout entier! Et qu'importe qu'apres sonoeuvre faite, Il disparaisse, un soir de deuil, un soir de fete, Honni ou exalte par ceux qu'il a servis. Le temps marche et l'heure est a quelque autre; Les plus jeunes n'ont point suivi, Jusques au bout, sa voix et son geste d'apotre; Il s'efface - mais ce sera pour revenir; Son ame etait trop loin vers l'avenir Et ses greves, cabree, Pour avoir peur des tombantes marees Qui succedent toujours aux flux geants; Sa force, elle est la-bas, lueur sur l'Ocean, Elle est pleine d'etincelles nouvelles, Les verites qu'il suscita de sa cervelle Se sont faites moelles, muscles et chair; Il a tordu la vie entiere en son eclair Et desormais elle est ployee, elle est creusee, Telle que seul d'abord il l'a pensee. Le Banquier Sur un bureau noir, ou les liasses abondent, Serre dans son fauteuil etroit, morne et branlant, Il griffonne menu, au long d'un papier blanc; Mais sa pensee, elle est la-bas, au bout du monde. Le Cap, Java, Ceylan vivent devant ses yeux Et l'ocean d'Asie, ou ses mille navires Ä l'Est, a l'Ouest, au Sud, au Nord, cinglent et virent Et les voiles au clair, rentrent en des ports bleus. Et les gares qu'il edifie et les rails rouges Qu'en ses forges l'on tord et qu'il destine au loin A des pays d'ebene et d'ambre et de benjoin, A des deserts, ou seul encor le soleil bouge; Et ses sources de naphte et ses mines de fer Et le tumulte fou de ses banques sonores Qui grise, enfievre, exalte, hallucine, devore Et dont le bruit s'epand au-dela de la mer; Et les peuples dont les senats sont ses garants; Et ceux dont il pourrait briser les lois futiles, Si la debacle ou la revolte etaient utiles A la marche sans fin de ses projets errants; Et les guerres vastes dont il serait lui-meme - Meurtres, rages et desespoirs - le seul vrai roi Qui rongerait, avec les dents des chiffres froids, Les noeuds taches de sang des plus ardents problemes; Si bien qu'en son fauteuil use, morne et branlant, Quand il griffonne, a menus traits, sur son registre, Il lie a son vouloir bourgeois le sort sinistre Et domine le monde, ou corne l'effroi blanc. Oh l'or! son or qu'il seme au loin, qu'il multiplie, La-bas, dans les villes de la folie, La-bas, dans les hameaux calmes et doux, Dans l'air et la lumiere et la splendeur, partout! Son or aile qui s'enivre d'espace, Son or planant, son or rapace, Son or vivant, Son or dont s'eclairent et rayonnent les vents, Son or que boit la terre Par les pores de sa misere, Son or ardent, son or furtif, son or retors, Morceau d'espoir et de soleil - son or! Il ignore ce qu'il possede Et si son monceau d'or excede, Par sa hauteur, les tours et les beffrois; Il l'aime avec prudence, avec sang-froid, Avec la joie apre et profonde D'avoir a soi, comme tresor et comme bien, Sous la garde des cieux quotidiens, Le bloc meme du monde. Et les foules le meprisent, mais sont a lui. Tous le craignent: l'or le grandit. L'universel desir et ses milliers de flammes Brulent leur ame autant qu'il ravage son ame; Il est celui qui divise le pain Miraculeux du gain, S'il les trompe, qu'importe. Chacun revient vers lui apres avoir quitte sa porte. Avec de grands remous Sa force roule en torrent fou Et bouillonne et bondit et puis entraine - Feuilles, rameaux, cailloux et graines - Les fortunes, les epargnes et les avoirs Et jusqu'aux moindres sous que recomptent, le soir, A la lueur de leur lanterne, Les gens de ferme. Ainsi, domptant les rois et les peuples et ceux Dont la puissance pauvre, en ses coffres, expire, Du fond de son fauteuil use, morne et boiteux, Il definit le sort des mers et des empires. Les Villes ï ces villes, par l'or putride, envenimees! Masses de pierre, et vols et gestes de fumees, Domes et tours d'orgueil et colonnes debout Dans l'espace qui vibre et le travail qui bout, En aimas-tu l'effroi et les affres profondes, ï toi, le voyageur Qui t'en allais triste et songeur, Par les gares de feu qui ceinturent le monde? Cahots et bonds de trains par au-dessus des monts! L'intime et sourd tocsin qui enfievrait ton ame Battait aussi dans ces villes, le soir; leur flamme Rouge et myriadaire illuminait ton front, Leur aboi noir, leur cri vengeur, leur han fecond Etaient l'aboi, le cri, le han de ton coeur meme; Ton etre entier etait tordu en leur blaspheme, Ta volonte jetee en proie a leur torrent Et vous vous maudissiez tout en vous adorant. Oh leurs chaines, leurs crocs, leurs supplices, Et leurs meurtres plantes dans le torse des lois! Le coeur de leurs bourdons, le front de leurs beffrois Ont oublie le nombre exact de leurs victimes; Leur monstrueux decor barre le firmament; Le siecle et son horreur se condensent en elles, Mais leur ame contient la minute eternelle Qui date, au long des jours innombrables, le temps. D'age en age, l'histoire est fecondee Sous l'afflux d'or de leurs idees; Leur moelle et leur cerveau Se ravivent du sang nouveau Qu'infuse au monde vieux la foule ou le genie. Elles illuminent l'audace et communient Avec l'espace et fascinent les horizons. Leur magnetisme est fort comme un poison. Tout front qui domine les autres, Savant, penseur, poete, apotre, Mele sa flamme a la lueur de leurs brasiers; Elles dressent vers l'inconnu les escaliers Par ou monte l'orgueil des recherches humaines Et broient, sous leurs pieds clairs, l'erreur qui tend ses De l'univers a l'homme, et des hommes a Dieu. Avez-vous vu, le soir, leurs couronnes de feu, Temples de verre et d'or assis sur les collines, D'ou se braquent vers les etoiles sibyllines, Les monstrueux regards des lentilles d'airain? Et puis, en des quartiers silencieux, soudain, Avez-vous visite les hauts laboratoires, Ou l'on poursuit, de calcul en calcul, De chainon en chainon, de recul en recul, A travers l'infini, la vie oscillatoire? L'homme qui juge, pense et veut, S'y controle et s'y mesure soi-meme. Tous les secrets, tous les problemes, Depuis cent ans, y sont l'enjeu D'une lutte geante avec la destinee. Combats meticuleux et science acharnee! L'enigme est la, dont on cherche les yeux Et qu'on frole toujours, comme une bete hagarde, Pour epier l'instant prodigieux, Ou, tout a coup, ces yeux vaincus se dardent, Refoulant l'ombre et devoilant la verite. Par ce jaillissement brutal hors des tenebres, Quelque chose du monde est tout a coup change; Il n'importe qu'on nie ou qu'on celebre L'homme unique dont le genie a saccage Les mysteres barres par des cloisons hostiles, Sa force est resorbee en la force des villes Et leur enorme vie en est encor grandie! Ainsi, de laps en laps, ceux qui pensent dedient A l'avenir humain l'ardeur de leur cerveau; Et tandis qu'ils vivent pour des pensers nouveaux, D'autres qui travaillent pour les foules - se levent. Ceux-ci sont les heros et les martyrs du reve Qu'ils entrevoient, la-bas, par des jardins de sang, Marcher, pour aboutir au seuil resplendissant Des temps, ou la justice aura dompte les hommes. L'erreur a promulgue des lois, noirs axiomes, Qu'on doit ronger sans cesse, en attendant le jour De les casser a coups d'emeute ou de revolte; S'il faut le rouge engrais pour les pures recoltes, S'il faut la haine immense avant l'immense amour, S'il faut le rut et la folie aux coeurs serviles, Les bonds des tocsins noirs souleveront les villes En hurlante maree, autour des droits nouveaux. Et dans les halls blafards des vieux faubourgs, la-haut, Ou les lueurs du gaz illimitent les gestes, Les voix, les cris, les poings des tribuns clairs, attestent Que les besoins de tous sont le cercle du droit. Textes, regles, codes, tables, bibles, systemes, Mots solennels et lourds qu'on debite a faux poids: L'homme dans l'univers n'a qu'un maitre, lui-meme, Et l'univers entier est ce maitre, dans lui. Le tribun parle haut et fort; son verbe luit, Sauvage et ravageur, comme un vol de comete; Il est le fol drapeau tendu vers la conquete. Si quelquefois il prend la foule pour tremplin, Qu'importe, il est celui dont le desir est plein, Jusques au bord, de la seve des renaissances; La colere, le desespoir, l'effervescence, Le silence orageux brulent entre ses mains; Il est, a sa maniere, un grand roi souterrain Qui regarde s'enfler toute force soudaine. Et quand, par un accord simple et fatal, s'enchaine Ce que veut le tribun, ce que veut le chercheur, Il n'est aucun eclair brandi par la terreur, Aucun ordre qui ploie, aucun pouvoir qui gronde, Pour ecraser, sous lui, la victoire du monde. La Science Qu'ils soient divinises par les foules, ces hommes Qui scruterent les faits pour en tirer les lois, Qui soumirent le monde a la mesure, et, comme Un roc turgide et noir, ont renverse l'effroi! Jadis, c'etait la mort, son culte et son delire Qui s'emparaient de l'homme et l'entouraient de nuit Pour lui masquer la vie et maintenir l'empire Debout du dogme et du peche; mais aujourd'hui Le mystere geant n'est plus meme funebre, Ombre apres ombre, il disparait dans les clartes, Si bien qu'on songe au jour ou toutes les tenebres Choiront, mortes, sous les pieds clairs des verites. La fable et l'inconnu furent la double proie D'un peuple de chercheurs aux fulgurantes mains Dont les livres ont dit comment la force ondoie Du mineral obscur jusqu'aux cerveaux humains; Comment la vie est une, a travers tous les etres, Qu'ils soient matiere, instinct, esprit ou volonte, Foret myriadaire et rouge ou s'enchevetrent Les debordements fous de la fecondite. ï vous, les eclaireurs des tragiques mysteres Tournes du fond des temps vers nos ages vermeils, Dressez votre splendeur, comme, autour de la terre. Luisent, de loin en loin, des caps dans le soleil. A-t-il fallu scruter et penetrer les choses Pour limiter d'abord et affirmer apres Ce qui dans l'univers fut origine ou cause, Sans s'egarer encor dans le dedale abstrait! ï les controles surs?! les batailles precises! Les vieux textes croules sous des arguments clairs! L'ame de la realite qu'on exorcise Et qu'on libere enfin dans la sante de l'air! Tout l'infini peuple d'hypotheses logiques! Le fourmillement d'ombre et d'or des cieux hautains Soustrait lui-meme aux puissances theologiques Et domine par des calculs froids, mais certains. Les neuves verites ainsi que des abeilles, Pour une ruche unique et pour le meme miel Peinant et s'exaltant et saccageant la treille Des beaux secrets caches qui joint la terre au ciel. Les recherches foulant le sol des consciences; Ordre et desordre se rythmant comme la mer; Le germe humain reproduisant, en sa croissance, Les grands types de vie au cours des temps amers. Et chaque elan vainqueur de la pensee entiere Qui n'a qu'un but: peser, jauger et definir, Se faisant flamme et se fondant dans la lumiere Et la lucidite, qui seront l'avenir. L'homme s'est assigne, sur le globe, sa place Solidaire, dans l'attirant affolement Et le combat entre eux des atomes rapaces Depuis les profondeurs jusques au firmament. Chaque age exige enfin du temps son rapt de flamme Et s'il est vrai qu'apres mille et mille ans, toujours, Quelque inconnu nouveau surgisse au bord de l'ame, Les poetes sont la pour y darder l'amour, Pour l'explorer et l'exalter avant les sages, Sans que les dieux s'en reviennent comme jadis Introniser leur foi dans les vallons des ages Pales encor d'eclairs et d'oracles brandis. Car maintenant que la voie est tracee, immense, Droite et nette, tout a la fois; car maintenant Qu'on regarde partir, robuste et rayonnant, Vers son travail, l'elan d'un siecle qui commence, Le cri de Faust n'est plus notre! L'orgueil des fronts Luit haut et clair, a contre vent, parmi nos routes, L'ardeur est revenue en nous; morts sont les doutes Et nous croyons deja ce que d'autres sauront. L'Erreur La dune allait, au long des mers, vers l'infini, Les hivers convulsifs Tordaient les cieux, sous la foudre et la tempete; Les eaux apparaissaient comme un amas de betes Dont le flux delivrait les aboiements captifs; La dune allait ainsi Apre et sauvage, a pas geants, Autour des Oceans, La dune allait ainsi Indifferente aux cris et aux naufrages Jetes de plage en plage et d'age en age, Vers la pitie lucide et vers l'amour vivant, La dune allait ainsi, Immense et monotone, en son pelerinage, De l'est a l'ouest, au long des mers, avec le vent. Et les siecles, avec la dune, avec le vent, Et les siecles, au long des mers, Passerent Jusques au jour ou l'on planta, Sur des monceaux de sable ou de roches, la-bas, Les phares Sonnant au loin les feux en or de leurs fanfares. Le visage des nuits en fut illumine. Les caps et les courants, Tels des cornes ou des torrents, Apparurent, sur les tenebres profanees; De reguliers eclairs trouaient l'immensite; L'ombre morte se reprenait a vivre? Les vaisseaux noirs que l'etendue enivre Partaient pour la conquete, avec securite; L'homme luttait encor, mais non plus en aveugle, L'espace ou le flot mord, ou le vent meugle, Le regardait, avec des yeux ardents d'eclat, Les eaux pouvaient cacher la quille entiere, Mais dans les voiles et dans les mats, Passaient et repassaient des gestes de lumiere. Les etoiles mortes, une clarte plus sure Accompagnait le mors aux dents vers l'aventure; La terre aimee apparaissait au loin, Malgre l'espace en deuil, comme un temoin Des batailles et des victoires sous la foudre. On dechirait, dans les voiles de l'inconnu, Des chemins clairs que nul ne put recoudre, Le peril franc, le danger nu, Etaient cherches, puis affrontes: la force humaine Si longtemps folle et incertaine Conquit, dans la grandeur des elements domptes, Sa royaute. La dune allait au long des mers vers l'infini; Mais desormais Elle avancait tenant en main de grands flambeaux, On eut dit un cortege illuminant si haut Le ciel, que les astres s'en obscurcirent; La dune allait ainsi La nuit, le jour, Par le chemin qui fait le tour Des royaumes et des empires, Et quand s'interrompait au loin sa ronde, Elle tendait aux bras de pierre Des falaises, les lumieres du monde. Or il se fit qu'au cours des temps Des gens apparurent qui doctement, Avec des mains tres expertes, fausserent La purete des geantes lumieres. Un travail sourd, mais entete Coupa l'amour, d'un biais de haine; Les phalenes des disputes humaines Pullulerent autour de la clarte. On ne distinguait plus la splendeur sure Tendre ses reguliers eclairs, Comme des barres sur la mer, Vers les bonds fous de l'aventure. Et les ardents et tranquilles flambeaux Qui dominaient la lutte et les batailles, Eclairerent des funerailles Et de brusques tombeaux. Hommes de notre temps, le sort vous parut morne, Le jour qu'il vous fallut aller combattre au loin Et qu'un phare sans feu demeura seul temoin De vos departs la nuit sur l'ocean sans bornes. Quelques-uns d'entre vous s'assirent sur la greve, Le poing sous le menton, Ou bien se dirigerent a tatons, Vers les erreurs des anciens reves. D'autres, plus fermes et les meilleurs, S'imposerent la tache coutumiere, De refaire de la lumiere, Avec d'autres lueurs. Mais les plus exaltes se dirent dans leur coeur: "Partons quand meme avec notre ame inassouvie, Puisque la force et que la vie Sont au-dela des verites et des erreurs". Les Cultes Toutes les enclumes des ors et des tonnerres Retentissent, la-haut, en des amas de nuit; Un atelier de feu et d'ombre y fut construit Par Gog et par Magog pour les dieux millenaires. Ammon et Jeho'vah y rencontrent Satan; Le vieux Vulcain y frappe, a coups brutaux mais justes, Pour le compte du Christ, l'aureole des justes. Les deux portiers saint Pierre et Thot ont l'air content. Tous les schismes sont loin. Seule survit l'idee. Les Dieux sont assez vieux pour ne faire plus qu'un Et recueillir pour soi, dans tous et dans chacun, La multiple lueur de prieres dardees. Les sophistes sacres marquent d'un scel pieux - Serpent, lotus ou croix - la science du monde, Et baptisent l'envol des forces errabondes Qui passent au-dela des hommes et des dieux. Sur l'arbre du mystere, ils greffent le prodige; Le miracle incessant tient la place des lois, Leur passion du ciel prend en croupe la foi Et l'eleve, de roc en roc, jusqu'au vertige. Il n'est plus rien de vrai, puisque tout est divin. L'esprit doit abdiquer l'orgueil qui le fait vivre Pour lui-meme, par la pensee et par le livre; On empoisonne l'inconnu dont il a faim. Voici la paix de la banale certitude; Hommes, pourquoi chercher? Vous avez le repos, Il coule en vous, mais c'est du plomb, parmi vos os, Et du bonheur, dans sa plus morne plenitude. Rien n'est plus haut, malgre l'angoisse et le tourment, Que la bataille avec l'enigme et les tenebres; Oh nos fleches d'airain trouant les soirs funebres, Vers quelque astre voile qui brule au firmament! Et qu'importent le doute ardent, l'ombre profonde, Le tumulte qui rend l'effort plus effrene; Coeur et cerveau, dans un elan simultane, Chacun a travers soi doit conquerir le monde. Dites, la proie et le butin qu'est l'univers Saignant, dans la splendeur de l'etendue entiere? Nous travaillons et nous pensons de la matiere, Et son secret vit en nous-memes, a decouvert. Nos controles le voient, s'ils ne le definissent; L'unite est en nous, et non pas dans les dieux; L'effroi si longtemps maitre a deserte les cieux Et s'est eteint dans les yeux morts des Pythonisses. L'homme respire et sur la terre il marche, seul. Il vit pour s'exalter du monde et de lui-meme; Sa langue oublie et la priere et le blaspheme; Ses pieds foulent le drap de son ancien linceul. Il est l'heureuse audace au lieu d'etre la crainte; Tout l'infini ne retentit que de ses bonds Vers l'avenir plus doux, plus clair et plus fecond Dont s'aggrave le chant et s'apaise la plainte. Penser, chercher et decouvrir sont ses exploits. Il emplit jusqu'aux bords son existence breve; Il n'enfle aucun espoir, il ne fausse aucun reve, Et s'il lui faut des Dieux encore - qu'il les soit! Les Heures ou l'on cree Encor un jour, ce jour! ou mon front fut le maitre Et l'empereur de l'univers qu'est tout mon etre! Le printemps luit de greve en greve; L'idee est fraiche, ainsi qu'une flore tremiere; L'esprit la voit grandir; on pense large et clair Comme la mer; Les problemes les plus ardus, De leurs grands monts sont descendus Et se laissent, dans l'or des plaines, Chauffer et penetrer par la recherche humaine; Tout est lueur au meme instant; Seule existe la peur de n'avoir pas le temps De dominer, soudain, ce que l'esprit decouvre. Et la vie ample et vaillante se rouvre Aux blancs galops de l'espoir d'or; On veut, et ce vouloir semble d'accord, Intimement avec le voeu du monde; L'ame sent naitre en soi la puissance profonde Qui realise et qui convainc, L'obstacle meme apparait vain: A peine un coin de pierre ou aiguiser sa force. Tous les ferments gonflent l'ecorce Du jeune et triomphal orgueil; Le bon travail s'installe au seuil De la maison ou dort la confiance; Les os, le sang, les nerfs font alliance Avec on ne sait quoi de fremissant Dans l'air et dans le vent; On s'eprouve leger et clair dans l'espace, On est heureux a crier grace, Tes faits, les principes, les lois, on comprend tout; ie coeur tremble d'amour et l'esprit semble fou De l'ivresse de ses idees. ï ces heures de fiere ardeur dardee, Heures des mais et des avrils, Qui m'amenez, chaque an, les plus rares des joies, Heures de conquete, heures de vaillance, heures de proie Comme vous exaltez mon coeur rouge et viril, Alors que je me sens dument le maitre Et l'empereur de l'univers qu'est tout mon etre! Les Bagnes Pareils a ces rayons vetus de soir et d'or Qui seuls, avant de s'endormir dans la vallee, Baisent de leur lumiere et ravivent encor Le front triste et rugueux des roches isolees, Mes vers s'en vont vers vous, Hommes de lutte et de souffrance, apres visages, Proscrits et revoltes qui maintenez Debout Malgre la croix ou le destin vous cloue Et votre foi et votre rage! ï les bagnes dresses tout au bout de la mer La-bas, ou tout est fer et plomb et roc et pierre Et brasier dans la nue et volcan sous la terre; Iles de desespoir qu'encercle le granit Et qu'isole du monde immense, l'infini; Comme du sang caille parmi les vagues Luisent vos bords et vos sables ocreux, Vos pics sont nus, comme les pointes des dagues, Vos geoliers sont des fous qui s'excitent entre eux, Vos flots roulent non de l'eau, mais des flammes, La cruaute torride et ses laches conseils, Au fer rouge de vos soleils, Brulent, sous vos cieux durs, les ames. Or, ceux que vous damnez viennent de l'Inconnu, Avec, entre leurs mains, les verites nouvelles; L'ame future, ils la forment dans leurs cervelles, Le droit serein et meconnu Semble le sang dont bouillonne leur verbe, Ils incendient, en les tassant du pied, les herbes Pleines de mort et de poison des vieilles lois; Ils sont les fous de la haute folie. La vie etant a boire, ils en jettent la lie Et la presentent pure au peuple qui la boit. Leur coeur est vaste et clair comme les plaines, Leurs yeux sont purs comme des yeux d'enfant. Quoi qu'on dise, leur force est pleine D'amour immense et debordant. S'ils haissent, ils n'ont que des haines d'idees, Leur cause est leur orgueil et le tourment De ne la point aimer, assez eperdument, Tient seul, pendant la nuit, leurs ames obsedees. La pitie, aucun d'entre eux N'en veut; Ce qu'ils veulent? c'est de dresser leur ferme exemple Devant les frontons d'or et les piliers du temple; C'est de bruler comme des torches Toutes en sang au seuil des porches Ou passeront, un jour, maitres du bien, Ceux qui veulent une equite totale, ou rien. ï leur inecrasable et rouge confiance, Leur orageux silence ou leur acharnement, Leurs cris profonds charges de conscience Oui penetrent le monde, ainsi qu'un chatiment, Vous ne les vaincrez pas, bourreaux dements et mornes, Iles, dont les pointes, commes des cornes, Se herissent vers le soleil, Bagnes batis pour la terreur et les supplices: La force humaine bondit de reveils en reveils, Elle est en proie a la justice. L'impossible Homme, si haut soit-il, ce mont inaccessible Ou ton ardeur veut s'elancer, Ne crains jamais de harasser Les chevaux d'or de l'impossible. Monte plus loin, plus haut, que ton esprit retors Voudrait d'abord, parmi les sources, A mi-cote, borner sa course; Toute la joie est dans l'essor! Qui s'arrete sur le chemin, bientot devie; C'est l'angoisse, c'est la fureur, C'est la rage contre l'erreur, C'est la fievre, qui sont la vie. Ce qui fut hier le but est l'obstacle demain; Dans les cages les mieux gardees S'entre-devorent les idees Sans que jamais meure leur faim. Changer! Monter! est la regle la plus profonde. L'immobile present n'est pas Un point d'appui pour le compas Qui mesure l'orgueil du monde. Que t'importe la sagesse d'antan qui va Distribuant, comme des palmes, Les victoires sures et calmes, Ton reve ardent vole au-dela! Il faut en tes elans te depasser sans cesse, Etre ton propre etonnement, Sans demander aux dieux comment Ton front resiste a son ivresse. Ton ame est un desir qui ne veut point finir, Et les chevaux de l'impossible, Du haut des monts inaccessibles, - Eux seuls - la jetteront dans l'avenir. L'En-avant Devant le ciel nocturne, au bord de ma fenetre, Ployant mon corps ardent sur l'espace et le bruit, J'ecoute avec ma fievre et j'absorbe, en mon etre, Les tonnerres des trains qui traversent la nuit. Ils sont un incendie en fuite dans le vide. Leur vacarme de fer, sur les plaques des ponts, Tintamarre si fort qu'on dirait qu'il decide Du rut d'un cratere ou des chutes d'un mont. Et leur elan encor m'ebranle et me secoue, Qu'au loin, dans la tenebre et dans la nuit du sort, Ils reveillent deja du fracas de leurs roues Le silence endormi dans les gares en or. Et mes muscles bandes ou tout se repercute Et glisse et se prolonge et sans cesse fremit Communiquent ainsi, minute par minute, Leur sourde et trepidante ardeur a mon esprit. Ils lui pretent leur force et le charment d'ivresse Etrange et d'ample et furieuse volupte, Lui suggerant, dans les routes de la vitesse, Un sillage nouveau vers la vieille beaute. ï les rythmes fougueux de la nature entiere Et les sentir et les darder a travers soi! Vivre les mouvements repandus dans les bois, Le sol, les vents, la mer et les tonnerres; Vouloir qu'en son cerveau tressaille l'univers; Et pour en condenser les frissons clairs En ardentes images, Aimer, aimer surtout la foudre et les eclairs Dont les devorateurs de l'espace et de l'air Incendient leur passage! La Multiple Splendeur Le Monde Le monde est fait avec des astres et des hommes. La-haut, Depuis quels temps a tout jamais silencieux, La-haut, En quels jardins profonds et violents des eieux, La-haut, Autour de quels soleils, Pareils A des ruches de feux, Tourne, dans la splendeur de l'espace energique, L'essaim myriadaire et merveilleux Des planetes tragiques? Tel astre, on ne sait quand, leur a donne l'essor Ainsi qu'a des abeilles; Et les voici, volant parmi les fleurs, les treilles Et les jardins de l'ether d'or; Et voici que chacune, en sa ronde eternelle, Qui s'eclaire la nuit, qui se voile le jour, Va, s'eloigne, revient, mais gravite toujours, Autour de son etoile maternelle. ï ce tournoiement fou de lumieres ardentes! Ce grand silence blanc et cet ordre total Presidant a la course effrenee et grondante Des orbes d'or, autour de leur brasier natal; Et ce pullulement logique et monstrueux; Et ces feuilles de flamme, et ces buissons de feux Poussant toujours plus loin, grimpant toujours plus haut, Naissant, mourant, ou se multipliant eux-memes Et s'eclairant et se brulant entre eux, Ainsi que les joyaux D'un insondable etagement de diademes. La terre est un eclat de diamant tombe, On ne sait quand, jadis, des couronnes du ciel. Le froid torpide et lent, l'air humide et plombe Ont apaise son feu brusque et torrentiel; Les eaux des grandes mers ont blemi sa surface; Les monts ont souleve leur echine de glaces; Les bois ont tressailli, du sol jusques au faite, D'un rut ou d'un combat rouge et noueux de betes; Les desastres croulant des levants aux ponants Ont tour a tour fait ou defait les continents; La-bas ou le cyclone en ses coleres bout, Les caps se sont dresses contre l'ocean fou; L'effort universel des heurts, des chocs, des chutes, En sa folie enorme a peu a peu decru Et lentement, apres mille ans d'ombre et de lutte, L'homme, dans le miroir de l'univers, s'est apparu. Il fut le maitre Qui, tout a coup, Avec son torse droit, avec son front debout, S'affirmait tel - et s'isolait de ses ancetres. Et la terre, avec ses jours, avec ses nuits, Immensement, a l'infini, De l'est a l'ouest s'etendit devant lui; Et les premiers envols des premieres pensees Du fond d'une cervelle humaine Et souveraine Eut lieu sous le soleil. Les pensees! ï leurs essors fougueux, leurs flammes dispersees, Leur rouge acharnement ou leur accord vermeil! Comme la-haut les etoiles criblaient la nue, Elles s'eparpillaient dans la foule inconnue, Effleuraient chaque front comme d'une aile en feu, Visitaient la montagne ou traversaient le fleuve, Si bien que leur lueur universelle et neuve Se repandit partout sur les pays silencieux. Mais pour que s'etablit aussi une harmonie Au sein de leurs tumultes d'or, Comme la-haut toujours, comme la-haut encor, Pareils A des soleils, Apparurent et s'exalterent, Parmi les races de la terre, Les genies. Avec des coeurs de flamme et des levres de miel, Ceux-ci disaient, vraiment, le verbe essentiel, Et les songes epars dans la nuit angoissee Se rabattaient vers la ruche de leur pensee. Autour d'eux gravitaient les flux et les remous De la recherche ardente et des problemes fous; L'ombre fut attentive a leur brusque lumiere; Un tressaillement neuf parcourut la matiere; Les eaux, les bois, les monts se sentirent legers Sous les souffles marins, sous les vents bocagers; Les flots semblaient danser et s'envoler les branches, Les rocs vibraient sous les baisers de sources blanches, Tout se renouvelait jusqu'en ses profondeurs: Le vrai, le bien, l'amour, la beaute, la laideur. Des liens subtils formes d'ondes et d'etincelles Composaient le tissu d'une ame universelle, Et l'etendue ou se croisaient tous ces aimants Vecut enfin, d'apres la loi qui regne aux firmaments. Le monde est fait avec des astres et des hommes. Les Penseurs Autour de la terre obsedee Circule, au fond des nuits, au coeur des jours, Toujours, L'orage amoncele des montantes idees. Elles roulent, passent ou lentement s'agregent. D'abord on les croirait vagues comme les reves Qui s'envolent, des le matin; Mais, tout a coup, leurs masses, Par etages, se tassent Et s'affirment en des contours certains. Voici leur ample et magnifique architecture. Et les regards d'en bas qui les cherchent, le soir, Reconnaissent, en leur structure, Chaque arabesque d'or que projette l'espoir Vers les clartes futures. Villes au bord des mers, cites au pied des monts, Leur tumulte essore remplit vos horizons; Sur vos domes luisants et sur vos frontons sombres Vous les sentez immensement gronder dans l'ombre. Parfois quelque penseur au front battant, A coups d'eclairs et de genie, En note et en surprend pour quelque temps, En ses livres, les harmonies; Mais un afflux nouveau de lumieres plus nettes En modifie au ciel les larges silhouettes Qu'aux jours memes des plus proches aieux L'humanite mirait et gardait en ses yeux. ï l'immortelle ardeur des chercheurs et des sages, ï leurs taches, au long des siecles, poursuivies Pour imposer quand meme et la forme et la vie A cet amas flottant de merveilleux nuages, Pour en dompter et en regler l'enorme essor Et les pousser, sous les arceaux d'un clair systeme Dont le ferme dessin eclate en lignes d'or; Alors, Qu'en son ardeur a resoudre tous les problemes Chaque science s'attaque ou collabore, Immensement, a ce supreme effort. Voici: et c'est au coeur de pavillons en verre, Ou des tubes, des lentilles et des cornues Se recourbent en flores inconnues, Qu'on analyse, avidement, Poussiere a poussiere Et ferment par ferment, La matiere; Et c'est encor, Au bout d'un cap, au front d'un mont, Dans la vierge blancheur du gel hieratique, Qu'avec de lourds et purs cristaux profonds, On explore l'orgueil des cieux mathematiques Dont l'immensite d'or et de tenebres Se fixe en des algebres; Et c'est encor, En des salles funebres, Ou sont couches, sur des tables, les morts, Qu'avec des couteaux fins